Etudiant : Alexandre Libersart
Directrice de mémoire : Anne-Sophie Verriest-Fenneteaux
L'Escaut : le Réveil d'un fleuve navigable.

Le fleuve de l'Escaut est le passage obligé du commerce fluvial franco-belge. Il fixe autour de lui le territoire de la porte du Hainaut et du Valenciennois au coeur d'un paysage industriel en déshérence : déclin de la navigation commerciale, transformation du monde du travail, cicatrices de la fin de l'ère industrielle marquant les paysages et les mémoires ...
C’est autour de l'Escault que le territoire s'est bâti et s'y accroche encore davantage pour trouver des solutions alternatives pour l'avenir. Il porte notamment avec lui l'espoir du renouveau du trafic fluvial, en témoignent les nombreuses plateformes multimodales qui s'installent sur son cours. D’ors et déjà au coeur d'enjeux économiques importants, porté par le projet controversé Seine Nord Europe et les ambitions du Grenelle qui place le transport fluvial comme l'une de ses priorités, l'Escaut est en phase de devenir une véritable «autoroute liquide» entre le bassin parisien et le Nord de l'Europe.
Sur les rives du fleuve, le «peuple de l'Escaut» interpelle. Ce dernier s'est construit avec son cour d'eau, a vécu sa décadence parallèlement à la mutation du monde du travail (peuple de mariniers et d'éclusiers face à l'automatisation et la productivité), et vit aujourd'hui dans l'attente. L’attente d'une transformation que l’on dit imminente et pourtant... Dans cette latence ambiante, la vie du fleuve continue et se panache d'ambiances ; industries lourdes côtoyant les terrils, eux même adossés à un paysage de marais et sa végétation alluviale, des terres plates et sauvages d'un coté face aux buttes de terres noires de l'autre, coiffées de cheminées et de tôle rouillée. De curieux tableaux donnent à lire ces paysages fortement anthropisés.

Le canal de Pommeroeul est de ceux-là. Jonction entre l'Escaut et le canal de Peronne, il prend appui sur la ville fortifiée de Condé sur L’Escaut pour s'échapper vers l'Est et rejoindre la frontière belge. Envasé depuis 1992 du côté français, les péniches n'y circulent plus, de même que les promeneurs. Pourtant, raccourci indéniable vers les grands ports flamants et le réseau Nord Européen, l'ambition politique vise à le réouvrir et à agrandir son gabarit. Le curage du canal et l'extraction de plus de 1,3 millions de m3 de boue polluée est imminent, mais les retards s'accumulent et les fonds restent bloqués. Le devenir du marais protégé reste également en point d'interrogation, notamment dans sa cohabitation avec une activité économique importante. Il s'agira ainsi de penser un canal en fonction des lieux qu'il traverse afin de gérer les déblais dus à sa remise en état et de comprendre les usages et dynamiques qu'un tel projet pourrait générer. Travailler sur le canal demande d’explorer plusieurs dimensions d'un territoire linéaire : la topographie sur laquelle il s'insère - les paysages naturels qu'il traverse – le marais entièrement façonné par l'activité minière du siècle dernier au modelé saisissant issu des déchets miniers - les usages et la place de l'Homme sur un territoire en transition - les chasseurs installés sur leurs cabanes flottantes au milieu de l'étang de Chabaud-Latour, les agriculteurs, les pépiniéristes, les habitants de l'ancienne cité minière, mais aussi les très bruyants et spectaculaires pilotes de motocross, utilisant d'une façon marginale un ancien terril - et les visions politiques sur le devenir du canal.
Point de cristallisation de ces enjeux, la ville fortifiée de Condé sur l'Escaut voit aujourd'hui avec ce projet et celui du tramway valenciennois une façon de sortir de son confinement. Dernier tronçon de voie d'eau avant d'entrer en territoire belge, le canal de Pommeroeul offre un contraste saisissant sitôt la frontière passée : du côté français, la végétation dense camoufle le canal ensauvagé tandis que de l'autre coté, il se veut moderne, mais paralysé faute d'un après praticable. Deux images contradictoires qui mettent en exergue l'intérêt de ce site.

C'est dans cette latence ambiante, faite d'indécision politique et de résilience humaine que se présente aujourd'hui le canal. Voie d'eau linéaire, le fleuve canalisé de l'Escaut existe dans l'épaisseur des paysages qui le borde et dans la profondeur des liens qui se sont noués avec son peuple. Les enjeux du projet Seine/Nord Europe dépassent la simple réhabilitation d'une voie d'eau, mais quels en seraient les impacts ? Comment tirer parti du renouveau du commerce fluvial à l'échelle du territoire ?