Etudiante : Myriam Iaz
Directeur de mémoire : Grégory Tissot
Les cités de transit, du souvenir confidentiel à la mémoire collective.

Accroupie dans le salon, feuilletant les albums photos de familles, je découvre les clichés de mon père au milieu d'autres hommes. La vingtaine, fraîchement débarqués du Maroc, ils ont l'air curieux et excités de ceux qui s'apprêtent à entamer une nouvelle aventure. Cette découverte des photographies de mes parents à leur arrivée en France m'a amené comme beaucoup d'autres enfants d'immigrés à me rendre compte que l'installation sur le sol français des nouveaux arrivants maghrébins est souvent restée discrète. Au fur et à mesure des années, je me suis demandée si cette pudeur, liée à une culture qui surprotège l'intime, n'avait pas eu des effets néfastes sur la vie des générations futures.

L'immigration, devenue un thème récurrent dans l'actualité et les débats politiques, est principalement évoquée au présent et au travers d'états des lieux tristement négatifs. Le territoire qui symbolise ce phénomène est clairement identifié : la banlieue et ses grands ensembles. Face aux nombreux problèmes qui se cristallisent sur ces zones, la solution actuelle semble être la rénovation urbaine qui à coups de projets de réhabilitation et de destruction souhaite améliorer le présent et le futur des populations migrantes. Cependant, une notion semble avoir été oubliée, celle du passé. Il serait intéressant de revenir à l'origine de ces territoires car comme le disait Marc Bloch: « On ne comprend rien du présent si l'on ne connaît rien au passé ». Effectivement, les grands ensembles ont été précédés par d'autres modes d'habiter souvent peu connus et qui mis en avant, permettraient une meilleure identification des générations futures face à leurs histoires et une meilleur appropriation des territoires qui les ont vu grandir.

à Gennevilliers, ville des Hauts-de-Seine, il existe depuis 1978 un grand ensemble que l'on nomme la cité du Luth. Elle a été pendant de nombreuses années un lieu à éviter, une caisse de résonance de nombreux problèmes sociétaux. Actuellement, un projet de rénovation urbaine est en marche. Un nouveau centre culturel signé par un grand nom de l'architecture, va bientôt être inauguré. Cependant, l'origine de la cité du Luth n'est jamais évoquée dans les travaux en cours. Celle-ci possède pourtant une grande influence sur la localisation, la construction et l'histoire du Luth.
En effet, en 1966, pour résorber les bidonvilles de la région parisienne, des cités de transit sont construites. à Gennevilliers, l'une des plus importantes fût implantée dans la partie plus reculée de la commune, au plus proche de la grande zone industrielle du Port de Paris. Ces cités d'urgence étaient censées accueillir provisoirement, durant deux années, des populations étrangères avant leur entrée en habitat à loyer modéré (H.L.M). Celle de Gennevilliers s'est vue transformée, agrandie, traversée par deux autoroutes pour finalement être démolie définitivement, en 1986, au bout de 30 ans. Actuellement il ne reste plus aucune trace de ce bout d'histoire à part les quelques anciens habitants logés au Luth qui racontent qu'il existait encore récemment une vie au nord de l'A86. Le Port de Paris est devenu propriétaire des anciennes emprises de la cité qu'il loue à des entreprises. L'une des parcelles, en friche, correspond à la localisation d'une partie de la cité. Elle est surmontée d'une passerelle, seul lien concret qui existait entre la cité et la ville à l'époque et qui est devenue le seul passage piétonnier entre le port et la commune.

En révélant l'histoire méconnue de la cité de transit disparue et en l'associant au grand ensemble actuel, il serait possible de dévoiler une partie de l'histoire des immigrés de Gennevilliers.
On ne parlerait alors plus de rénovation urbaine mais d'investigation urbaine, qui s'attacherait à interroger le passé pour mieux comprendre les dysfonctionnements présents et appréhender les évolutions futures. Le bout de territoire vacant de l'ancienne cité de transit serait un terrain d'expérimentation dédié à la révélation d'un patrimoine historique. Projet tremplin tourné vers la ville, il permettrait de lier concrètement le port à la commune. Traversant le Luth, il obligerait une ouverture du quartier à ses alentours, et il n'aurait plus de raison de se renfermer sur lui même.

Dans la lignée de la Cité Nationale de l'Immigration à Paris, la mise en valeur de l'histoire de la cité de transit de Gennevilliers participerait à la modification du regard contemporain sur l'immigration et à la reconnaissance nationale des banlieues, territoires singuliers devenus autonomes.