Etudiante : Anne Rouat
Directeur de mémoire : Jean-Marc Gaulier
Habiter la forêt des légendes.

Il est de ces lieux magiques où rien ne s’explique, où tout se ressent, où l’atmosphère vous parle et où l’on s’abandonne à l’écouter. Il est de ces lieux clos où l’enfermement prend de très diverses formes, où la clôture se montre parfois angoissante, parfois rassurante, ou parfois nécessaire. Il est de ces lieux comme la forêt de Brocéliande où nos repères ne sont plus, où l’épaisseur boisée vous capte et le temps ne semble plus le même.
L’homme a de tout temps habité en contact avec le milieu sylvestre, l’homme a de tout temps cru, imaginer et flirter avec le féérique, repousser le rationnel pour s’ouvrir à l’infini au surnaturel. La forêt du merveilleux est aujourd’hui à l’épreuve d’une société devenue urbaine, résidentielle. L’espace forestier et l’habitat se tournent aujourd’hui le dos. Sait-on encore aujourd’hui habiter la forêt, la lisière, la clairière ?

Connaissons nous encore le langage secret des bois ?
Autrefois, en Argoat, battait le cœur de la Bretagne, la légendaire Forêt de Brocéliande occupait, en des temps lointains, la moitié du territoire armoricain. Quelques lambeaux subsistent et marquent encore aujourd’hui la péninsule bretonne, la Forêt de Paimpont, avec celle de Huelgoat, est de loin la plus parlante. Haut lieu des légendes Arthuriennes abritant l’imaginaire, le fabuleux, le fantastique, elle se situe à 30 km à l’ouest de la grande Rennaise, à cheval sur les départements du Morbihan (56) et de l’Ille et Vilaine (35), et constitue aujourd’hui le plus grand massif forestier de Bretagne. Les boisements de feuillus (chênes et hêtres) occupent la grande majorité de ce territoire, entamé par quelques parcelles de résineux en inclusion ou en périphérie, en transition avec les landes environnantes. L’espace forestier de Brocéliande appartient à près de 90% à quelques propriétaires privés.

Une forêt habitée
Au XVIIe siècle, on disait clairière. On faisait environ deux mille pas dans le bois, puis on rencontrait une clairière qui servait comme de parvis au temple.
(La Fontaine, Psyché, II, p. 158)
C’est au cœur et au creux de cette vaste étendue féérique (8000 hectares environ) que viennent se lover, ci et là, dans un système de clairières, quelques tâches urbaines et humaines. Il y a la principale, « la clairière urbaine », celle de Paimpont, qui s’est faite une place de choix au beau milieu de la forêt et se laisse entourer par quelques 7000 hectares de boisements. Au sud de celle-ci, après s’être resserré, l’espace forestier ouvre ses grands bras de bois sur une vaste clairière agricole ; l’habitat dispersé ponctue de manière régulière l’espace. Aux alentours, et ponctuellement, se développent de nouveaux fragments d’habitat. Au sud, la commune de Beignon occupe la lisière, elle semble s’être réfugiée au creux d’une clairière avortée ; ici, milieu urbain et forestier s’interpénètrent, dialoguent. Vu du ciel, ces espaces clos paraissent être une évidence mais, à notre échelle, les limites et les clôtures forestières peinent à se ressentir. Habiter une clairière est une manière très particulière d’occuper l’espace, d’appréhender son environnement proche et lointain. Ainsi, elle peut être ressentie comme un enfermement ou comme un environnement protecteur. L’expansion de tels villes et villages pose le problème de leur étendue et par conséquent, de leur rapport au couvert boisé, encadrant ainsi la planification urbaine de tels espaces, induit la prise en compte d’entités particulières corrélatives à ce monde sylvestre. Lisière, clôture, couronne agricole, verticalité ou lumière feront, ici, partie intégrante de notre nouveau vocabulaire de paysagiste et d’urbaniste.

Contexte urbain
Sous l’influence directe de l’aire urbaine Rennaise, les communes sur lesquelles s’étale la forêt de Paimpont sont étroitement liées à l’agglomération, aussi bien en terme d’emplois que de services. Le Pays de Brocéliande-Paimpont affiche, par conséquence, de plus en plus un caractère périurbain. L’identité propre du Pays de Brocéliande reste cependant basée sur une corrélation et un contraste avec cette métropole : plus que la recherche de logements moins onéreux, il représente le lieu de la ruralité et la quête d’une qualité de vie à la campagne (principe très défendu par les communes). La ville de Paimpont possède en elle cette particularité de se situer à l’extrême limite de cette aire d’influence, elle est par conséquence en position de basculement. Ni urbaine, ni périurbaine, ni rurale, elle doit, entre Rennes et centre Bretagne, se faire sa place et assumer son identité centrale. Territoire de contraste à l’urbanité, c’est donc vers un avenir résidentiel que se dirige le Pays de Brocéliande. Au cœur de ce système, Paimpont affiche une très grande faiblesse du logement social. Les enjeux de croissance de la ville ne s’orientent pas vers le dessin d’une énième ville-dortoir rennaise. Le patrimoine naturel boisé qui représente le premier attrait du Pays constitue également sa première menace en terme d’urbanisme et de développement. Sa superficie de 11000 hectares fait de Paimpont la commune la plus étendue du département. L’avancée fulgurante de la métropole rennaise tend à muter considérablement les modes d’urbanisation des communes alentours, allant parfois à l’encontre de l’identité d’un territoire. Un développement résidentiel consommateur d’espace ne peut pas, à l’évidence, s’adapter à des espaces clôturés et cernés comme ceux des clairières. Il s’agit d’adapter les formes urbaines aux richesses culturelles et écologiques d’un territoire aussi identitaire que celui de Brocéliande. Il est important de considérer l’environnement forestier comme le fer de lance pour l’aménagement de tels territoires. Le ScoT du Pays de Paimpont-Brocéliande regroupant 44 communes a été élaboré en 2004 ; suite à cela, la commune de Paimpont souhaite réviser son POS en PLU d’ici peu. Il s’agit donc ici de trouver comment répondre à l’enjeu du logement social en milieu périurbain et rural, en travaillant sur de nouvelles formes urbaines pour concilier un habitat économe en espace mais restant en phase avec l’identité du Pays de Brocéliande, et du contexte forestier environnant.

Une forêt vécue
Rapport fonctionnel et culturel à la forêt
Aujourd’hui l’espace urbain et l’espace forestier entrent en contact, s’entrechoquent, se font face mais ont, à un certain moment, oublié de dialoguer. La culture des bois ne fait plus partie du quotidien de ses habitants. La forêt, image connue de la nature et du sauvage, remplit depuis des temps immémoriaux trois fonctions essentielles : économique, écologique et sociale. Aujourd’hui, la ville s’oppose bien trop souvent à cet organisme vivant qui, autrefois, lui était essentiel. La tendance acculturation à la forêt de nos sociétés modernes ne fait qu’accentuer son effet clôturant. En grande partie aux mains de quelques propriétaires privés, la forêt n’est pas pénétrable par la plupart, seuls les axes routiers et les sites légendaires et touristiques permettent de s’y enfoncer et de la comprendre. Il me semble indispensable pour vivre en accord avec un organisme aussi fort que le massif forestier puisse être percé de toutes parts afin de le comprendre et de ne plus le percevoir comme une simple clôture provoquant l’enfermement. C’est ainsi que l’habitat rentre en concurrence spatiale avec la forêt. La lisière ne doit plus être considéré comme une barrière foncière inamovible mais comme un espace essentiel de dialogue entre ces deux mondes.

Une forêt légendaire
Un haut lieu de légendes
Au Val sans retour comme à la Fontaine de Jouvence, Viviane, Merlin, Morgane et autres Lancelot et Guenièvre, ont écrit leurs histoires sur cette terre des légendes. Le « tourisme légendaire » est le premier élément fort de l’identité du pays, il marque fortement le territoire et lui fait subir une pression humaine considérable. Nombre de passionnés et de curieux viennent chaque année fouler  les chemins et les routes forestières, pour rejoindre tour à tour les sites les plus féériques du secteur. La majorité des étapes sont fortement éloignées les unes des autres, aussi la majorité des parcours se font en véhicule et sur plusieurs jours ; non sans impacts sur le territoire. La prise en compte du circuit des légendes représente un enjeu économique social et identitaire non négligeable sur ce territoire ainsi qu’une véritable opportunité de compréhension et de transparence de l’univers forestier.

 

Le projet de paysage consiste ici à prendre en compte le besoin de développement des territoires au cœur du massif forestier de Paimpont et de repenser la manière d’habiter en milieu sylvestre, de considérer la clôture forestière non plus comme un enfermement et une barrière inconnue mais comme un élément fondateur du développement urbain. Il s’agit ici de travailler sur l’interface entre l’habitat et la forêt en écrivant une nouvelle lisière, en inventant les nouvelles formes urbaines et rurales du monde forestier, ainsi que du pays des légendes.
De quelle manière peut-on imaginer un nouvel équilibre entre le milieu sylvestre et le milieu habité, entre le plein et le creux, entre le positif et le négatif ? Comment les bois peuvent aujourd’hui dialoguer avec de nouvelles manières d’habiter ? Comment les bois peuvent être vécus et non subis ?