Etudiante : Céline Castellan
Directeur de mémoire : Dominique Boutin
Quel avenir pour les paysages agricoles du Cabardès ?

Le département de l'Aude est traversé d'Ouest en Est par une vaste plaine, lieu d'échange et de communication depuis l'époque romaine. Quel que soit notre moyen de déplacement, on ne peut manquer la cité fortifiée de Carcassonne qui domine la plaine. Elle est un repère, elle raconte l'histoire mouvementée de cette région. De son chemin de ronde, on domine la plaine viticole. Notre regard est arrêté au Nord par la Montagne Noire, au Sud par les premiers contreforts pyrénéens. L'Aude, c'est cette opposition entre la plaine ouverte et grouillante d'activités, et tous les endroits au charme inénarrable qui se cachent dans les plis du relief. Un point commun à tous ces endroits : la vigne. Pratiquement en monoculture par endroits dans la plaine, elle forme une mosaïque qui se disperse au fur et à mesure que le relief augmente. Elle forme alors des taches vert tendre au milieu de la garrigue aux tons plus durs. Elle révèle alors l'activité humaine au coeur des paysages dominés par la rudesse.

On retrouve, à l'échelle de l'AOC Cabardès, les caractéristiques géographiques et historiques de l'Aude. Cette AOC, créée en 1999, s'étend sur 18 communes au Nord-ouest de Carcassonne. Le Cabardès est une vaste plate-forme inclinée partant des sommets de la Montagne Noire et plongeant jusqu'à la plaine. Ici, on y trouve le canal du Midi, entouré de grandes étendues de vignes, quasiment en monoculture. En partant vers le Nord, sans qu'on s'en rende compte, le relief se soulève, s'arrondit, de petits vallons se dessinent, la taille des parcelles se réduit, des haies et des bosquets d'arbres apparaissent. Plus on monte, plus le sol s'assèche. La vigne devient résiduelle au milieu de la garrigue. Puis arrive la Montagne Noire. Des vallées étroites et encaissées rentrent alors dans la chair de la Montagne. Au fond des vallées encaissées, la force de la montagne nous étoufferait presque. Les villages s'y logent, serrés, le long des torrents, à sec la plupart du temps. Cette AOC, plus que tout autre, a un climat de transition. Elle subit les influences conjuguées de l'Atlantique et de la Méditerranée, d'où son nom : « Vent d'est, vent d'ouest » ; ce qui permet l'association unique, à parts égales, de cépages bordelais (Merlot, Cabernet-Sauvignon et Cabernet-Franc) et de cépages méditerranéens (Syrah et Grenache). Ce territoire est représentatif des changements économiques et sociaux que l'Aude a connu depuis le XIXe siècle, changements qui ont une répercussion sur le paysage. à la fin du XVIIIe siècle, les pentes de la Montagne Noire sont occupées par une mosaïque de vignes, de prairies, de champs céréaliers, de vergers d'arbres fruitiers et d'oliviers. Au XIXè siècle, avec l'arrivée du chemin de fer, les régions se spécialisèrent. Les vignes ont remplacé les céréales, les pâturages et leurs troupeaux. Les vignobles se sont bientôt étendus, quasiment en monoculture dans la plaine. Avec la mécanisation des systèmes de production, les parcelles se sont agrandies, les arbres qui ponctuaient les cultures ont disparu. Les endroits les plus difficiles à cultiver ont été abandonnés, la garrigue les a conquis. Dans les petites vallées de la Montagne Noire, les pentes aménagées en terrasses se sont vues reconquérir par la forêt. Le Languedoc-Roussillon est devenu une des plus grosses régions productrices de vin au niveau mondial.
Dans les années 70, la région a entrepris un tournant vers la qualité en réduisant ses rendements. à partir de 1985, les grandes AOC de l'Aude sont créées (Corbières, Minervois et Coteaux du Languedoc). Les premières vagues d'arrachage ont lieu. Les paysages viticoles se sont vus morceler par les friches. En parallèle, s'est développé le tourisme avec comme slogan le « Pays cathare ». Les célèbres citadelles s'appuient sur des paysages caractéristiques de vignes ou de garrigues, véritable carte postale de l'Aude.

Plus de trente ans après, le monde viticole doit faire face à une nouvelle crise. Les causes sont la concurrence des vins du Nouveau Monde, le contexte économique mondial mais surtout la complexité du système français devant lequel les consommateurs sont perdus. Outre la complexité du classement des vins (Appellation d'Origine Contrôlée régionale, sous-régionale et communale, vins de Pays et vins de table), les aires d'appellation, pourtant rattachées à un territoire, sont difficiles à comprendre dans l'espace. Les Appellations d'Origine Contrôlée ont été créées pour lier un produit agricole à son milieu géographique de production, c'est de lui qu'il tire son authenticité et sa typicité. Un produit AOC est donc issu d'un milieu géographique spécifique, cela signifie à la fois des facteurs naturels (climat, sol ...) et des facteurs humains (pratiques de culture et de transformation). Lier un produit à son terroir, cela peut sembler assez simple et évident, mais l'exemple du Cabardès montre que cela ne l'est pas. Il faut ajouter à cette confusion le nom des AOC qui vient souvent du nom traditionnel donné à ces territoires. Ainsi le nom du Cabardès vient du fief des seigneurs de Cabaret, la Châtellenie du Cabardès. Cela constitua de tout temps un territoire en soit. Ce pays  s'étendait bien au-delà de l'appellation. La politique des AOC mélange donc la notion culturelle de pays et la protection des produits et des terroirs. 

Aujourd'hui, le monde viticole, et les AOC en particulier, traverse une grave crise. Les viticulteurs n'arrivent plus à vivre de leur activité. Cela entraîne l'arrachage des vignes qui, non anticipé, entraîne à son tour l'enfrichement. Des pistes se dessinent : diversification, reconversion, changements des pratiques culturales. Quel est l'avenir de ces paysages agricoles ? Le paysage est le résultat d'un mélange entre facteurs naturels et humains. C'est un support primordial pour bien des activités, le tourisme surtout. C'est également le cadre de vie de nouveaux résidents attirés par l'authenticité encore préservée de la région. Devant les changements à venir dans les activités et les pratiques agricoles de cette région en crise, le paysage peut-il être réfléchi en parallèle et en concertation des questions agricoles, afin de ne pas être un paysage subi mais un paysage choisi, vecteur de développement du Cabardès ?