Etudiante : Sabrina Gilet
Directrice de mémoire : Claire Dauviau
Répondre à de nouveaux enjeux dans la vallée de la Truyère.

Née dans les monts de la Margeride, la Truyère suit un parcours de 170 kilomètres pour rejoindre le Lot à Entraygues. Le bassin versant de cette rivière s’étend sur trois départements : l’Aveyron, la Lozère et le Cantal. Il est formé d’un vaste plateau encerclé au Nord, par les Monts du Cantal, à l’Est, par ceux de la Margeride et au Sud, par le Massif de l’Aubrac.
Sur son parcours, la Truyère a creusé des gorges profondes et son profil favorable à l’équipement hydraulique a donné lieu à des projets d’aménagement dès 1910. Les premiers travaux furent entamés en 1928, et aujourd’hui, six barrages et huit usines hydroélectriques s’échelonnent sur son cours. Ils sont exploités par EDF, qui succéda à la Société des Forces Motrices de la Truyère en 1946.

La Société des Forces Motrices de la Truyère a laissé sa lourde empreinte sur la vallée. Aujourd’hui, la mince rivière qui sinuait au fond des gorges s’est épaissie, elle a élargi son lit pour se transformer en une succession de lacs. Dans cette vallée au nouveau visage demeure néanmoins les témoignages de deux époques.
Tout d’abord, les milliers d’années durant lesquelles la Truyère n’était qu’une «petite rivière comme tant d’autres, riche en truites, qui se contentait d’être un affluent du Lot». Les arbres morts transperçant la surface des lacs témoignent de cette époque difficile à imaginer durant laquelle, à la place de ces étendues d’eau, des forêts d’arbres centenaires dévalaient des versants abrupts jusqu’au cours d’eau. Une grande sécheresse, une vidange du barrage et c’est un monde fantôme qui renaît. Les ponts de pierre réapparaissent à des dizaines de mètres en dessous des ponts suspendus qui franchissent aujourd’hui cette Truyère domptée. à leurs côtés, se dessinent alors les charpentes squelettiques des hameaux abandonnés à la hâte avant la montée des eaux.

La trace d’une autre époque demeure dans la vallée, une période bien plus courte qui a pourtant suffi aux Hommes à asservir la Truyère, à la modeler à leur guise, en quête de cette toute jeune électricité dont on avait tant besoin. C’est l’époque de la construction des monstres de béton, l’époque des prouesses techniques, l’époque où l’homme dressa avec assurance des milliers de tonnes de béton s’opposant effrontément à la puissance de la rivière. Aujourd’hui, de cette entreprise titanesque, on retient le résultat : ces barrages qui comme prévu retiennent solidement des millions de mètres cubes d’eau, et c’est avec une certaine fierté que l’on franchit le géant de la Truyère : Sarrans. 800 000 tonnes de pierre, 400 000 tonnes de sable et 100 000 tonnes de ciment ont dressé une muraille large de 225 mètres, haute de 105 et créé un lac artificiel de 1000 hectares capable de retenir 300 millions de mètres cubes d’eau. Ces chiffres ont leur poésie, la beauté du gigantisme. Mais dans cette vallée, la seule chose aussi gigantesque que les barrages, ce sont les outils qui ont permis de les construire car eux aussi ont laissé leurs traces. Blocs de bétons, vestiges des transporteurs aériens, escaliers envahis par la mousse, rails rouillés et cités fantomatiques témoignent partout de cette époque

Aujourd’hui c’est avec difficulté que l’on imagine «la Truyère d’avant». La vallée n’est plus espace de projet, on la qualifie à nouveau de vallée sauvage, paradoxe d’une « nature » forgée par la main de l’homme. Les versants se sont enfrichés, la vallée s’est désertifiée. La difficulté d’accéder à ce territoire par des routes étroites et tortueuses l’a-t-il préservé ou est-elle la cause de son abandon ? On s’intéresse à présent de nouveau à cette terre enclavée. Les touristes repeuplent aujourd’hui les cités EDF quelques semaines dans l’année, car ici, la saison est courte, le climat est rude et pourtant l’intérêt pour ce territoire ne cesse de croître. Mais les sites susceptibles d’accueillir cette nouvelle forme de tourisme sont rares et risquent d’être rapidement étouffés car la vallée se protège, reste souvent inaccessible. Rares sont les lieux où l’on atteint l’eau et quand les gorges se resserrent, rares sont les points où on l’aperçoit. Dans son écrin boisé, la Truyère joue à cache-cache avec le visiteur, on la soupçonne, on la devine dans le vide, on l’imagine dans le vertige. L’eau doit alors répondre à de nouveaux usages, elle fait bien sûr toujours tourner les turbines. Mais les lacs doivent remplir de nouvelles fonctions, leur niveau doit  permettre les activités nautiques que l’on propose aux touristes et surtout, la Truyère doit plus que jamais remplir sa mission première, alimenter le Lot. Le Lot que l’on souhaite rendre navigable et dont le débit dépend étroitement de la gestion des  barrages sur la Truyère.

Une désertification croissante de la vallée, un développement touristique à orienter, et une réponse à trouver pour satisfaire les exigences de ces nouveaux usages de l’eau qui se multiplient. Ces trois problématiques que l’on rencontre à l’échelle de la vallée existent bien sûr à une échelle plus large, nationale voire européenne, cependant, leur résolution doit passer par un échelon local. Le projet devra prendre forme sur un site stratégique, regroupant ces différents enjeux. La vallée ne doit plus rester figée dans sa situation actuelle, à savoir une exploitation «mono spécifique» de l’énergie hydroélectrique. De nouvelles demandes existent, il s’agit de les prendre en compte et de les traiter à travers l’étude d’un site en particulier. Il s’agira alors d’imaginer pour ce site une solution pour intégrer de manière intelligente une nouvelle forme de tourisme, en évitant l’implantation systématique de modèles pré-établis, transposables d’un site à l’autre et faisant abstraction des spécificités locales. Pour permettre ce tourisme vecteur de dynamisme, le projet devra mettre en place un système de gestion de l’eau permettant de répondre à plusieurs usages. Enfin, il visera à introduire une notion de transversalité, en proposant un nouveau regard sur la vallée, qui doit cesser d’être considérée comme une frontière dont la lecture se limite à un axe amont-aval. Ce site de projet sera donc le support d’un travail de connexion entre les territoires adjacents et notamment les plateaux. Le fil conducteur permettant de répondre à ces différentes problématiques sera un travail sur les rapports fluctuants entre la terre et l’eau. Rapports que l’on retrouve sous plusieurs formes, tout d’abord de manière physique à travers le marnage imposé par le fonctionnement des usines, mais de manière plus symbolique, à travers un lien passé-présent, un lien entre monde englouti et territoire épargné.