Etudiant : Grégory Tissot
Directeur de mémoire : Claude Eveno
IMAGES D'UNE VILLE

St Etienne 1910.
Images d’une ville industrieuse, noire, fumante. Capitale d’une région industrielle prospère qui s’étend d’est en ouest, de Rive de Gier à Firminy. Ville entière héritée de la manufacture, des forges et de l’industrie. Ville étirée, du sud au nord, d’abord le long d’un cours d’eau-égout, le Furan, puis, le long d’un axe monumental, la Grand rue. St Etienne se développe, s’enrichit à mesure que ses sous-sols s’excavent, que ses rubans se tissent, que ses armes s’assemblent. Un urbanisme fonctionnel, dicté par le besoin d’espaces des sociétés de mines, des forges et des ateliers de passementiers. Une guerre spatiale dans laquelle les mines ont été repoussées aux franges de la ville par les passementiers campés sur les collines. Les humeurs noires contre les textiles fins.

2003.
Il y a d’abord le Musée de la Mine, comme un noyau, qui s’est installé dans le site d’extraction houillère Couriot (du nom du chevalement), dont l’activité a cessé en 1969. C’est le seul ensemble minier « entier » du bassin houiller de St Etienne ayant survécu à l’arasement systématique qu’ont connu ces installations à partir des années 70 : son chevalement métallique, le bâtiment des chaudières, la salle des pendus et celle de production d’énergie, la lampisterie et les deux crassiers (terrils). Ils sont la mémoire d’un temps, aujourd’hui repères dans le territoire de St Etienne. Un passé bien souvent rejeté.
La friche prend possession des rails et des installations minières abattues, dont seules témoignent les traces au sol. Au cœur des délaissés, un campement de nomades sédentarisés est invisible dans la touffeur des acacias. Une gare abandonnée, dans laquelle s’arrête encore le train, sans être historiquement relié au site de la mine (c’est une gare voyageurs), établit un pont entre ce dernier et la ville. Cet ensemble, séparé de la ville, la clôt à l’ouest. C’est à la fois l’entrée de ville de St Etienne et, peut être, le chemin pour en sortir.
Mais les territoires occupés par la société des mines de la Loire ne se limitent pas au site de Couriot ; partout autour, des installations venaient se greffer dessus : les logements ouvriers, une centrale électrique, une aciérie… Au nord comme au sud, les quartiers hérités du démantèlement du système minier (anciens quartiers ouvriers aujourd’hui devenus populaires, des zones d’activités, des jardins familiaux, des grands ensembles) encadrent le site et lui tournent le dos. Le tissu est mité, seules les routes tiennent l’ensemble, comme des épingles à nourrice.
Et pourtant, le tissu qui reste est riche, de la richesse des quartiers populaires : un café tapissé de forêts vierges en posters, au mobilier de formica rouge et jaune citron, un terrain de boules, un gymnase, la principale bibliothèque municipale, un champ surplombant la ville, tout cela à quelques pas du centre. Des distances si courtes paraissent aujourd’hui infranchissables.
Le passé stéphanois remonte encore bien plus loin que l’époque florissante de l’extraction houillère, jusqu’à la préhistoire, au Carbonifère, temps révolu du continent unique : la Pangée. Cette histoire primitive est à l’origine de la ville, de son enrichissement, de sa crise. Assumer cette histoire, c’est se donner les moyens d’en écrire une suite. Remettre le fond à jour est le fil de chaîne qui peut permettre de retisser la trame de l’ouest stéphanois.