Etudiante : Maryline Tagliabue
Directrice de mémoire : Claire Dauviau
Réenchanter le corps urbain – De la Cité Malakoff à la ville créative.

L’art part à la conquête de nouveaux territoires …

Dans la grande lignée des saltimbanques sillonnant inlassablement les routes au siècle dernier, de nouvelles pratiques artistiques émergent à la rencontre des publics et des lieux. Regroupées tantôt sous le drapeau des «arts de la rue», tantôt sous celui des «arts vivants», elles quittent les sentiers battus de la scène pour s’inviter au coeur des territoires tout en prenant le parti d’en questionner les codes, les représentations et les usages. Le propre de cette figure moderne de l’artiste est de créer un jeu de tension entre l’acte et le contexte, ouvrant dès lors autant des espaces d’expression porteurs d’une citoyenneté inscrite dans les faits culturels, sociaux et politiques. A « l’art pour l’art », ces artistes-explorateurs répondent « l’art pour qui ? », s’inscrivant dans une volonté de plus en plus affirmée de démocratisation de la culture. Comme si ces 3 lettres, trop longtemps prisonnières des parois immuables des musées et autres temples de la culture, s’en échappaient pour se déployer désormais dans l’espace et le temps, et ainsi devenir choses du monde. Les formes que prennent ces « nouveaux territoires de l’art » en témoignent, palette de lieux bigarrés ou monotones, incongrus ou communs, allant de la plus commune des rues aux friches industrielles métamorphosées en laboratoire artistique.

L’art interroge et investit l’espace public …

Avec, pour leitmotiv, l’expérimentation de rapports inédits entre population, art et territoire. Notion polysémique, le territoire est communément perçu comme espace politique borné au sein duquel s’exerce une autorité limitée, ou encore comme espace biologique, lieu d’expression des individus et de la société. De ce fait, son appropriation peut sembler bien anecdotique et pourtant si essentielle à l’identification d’un territoire en tant que tel. L’action artistique, en se nourrissant du contexte du lieu, questionne à la fois ces 3 aspects, accordant de surcroît une place prépondérante au dernier, l’espace approprié, à travers l’intérêt croissant et authentique que l’artiste porte au vécu et à la parole d’habitants.
En partant de l’idée que le territoire peut être un « terreau de création », support d’émotion et de l’imaginaire de ses habitants, il incarnerait à la fois le lieu où l’on joue et le lieu exprimé. Instaurer un nouveau dialogue entre création et territoire, élaboré à partir de la subjectivité du lien qui se noue entre une personne et le lieu qu’elle habite, le regard décalé et engagé de l’artiste, les visions politiques qui s’y affrontent et le savoir-faire du paysagiste, établissant des relations entre les objets et alliant la dimension technique à la dimension subjective, culturelle et sociale du territoire, tel en est fondamentalement l’enjeu. Sur quoi s’appuyer pour bâtir un langage commun si ce n’est l’espace et le temps ?
Le quartier Malakoff à Nantes, quartier d’habitat social en phase de rénovation urbaine, cristallise cet enjeu. A la manière d’un îlot, il se trouve pris en étau entre une réserve naturelle quasi hermétique, la Petite Amazonie, et la Loire, donnant à ses habitants un sentiment d’isolement du reste de la ville. Malakoff fait partie de ces quartiers     « dont on parle » : d’abord pour son coté ghetto, théâtre de tensions sociales avec pour fond de toile barres et cages d’immeubles défraîchies, mais surtout pour le projet de ville de grande envergure dont il fait l’objet, fantasme des aménageurs et des politiques y voyant un moyen de lifter le tout dans le projet de métropolisation Euronantes.

« Que l’art puisse participer à l’édification d’un monde humain »
[Hannah Arendt, philosophe] …

Le pouls de Malakoff bat au rythme des décisions de la ville. Un chantier permanent habite ainsi le quartier depuis plusieurs années. Opération à coeur ouvert, la fabrique urbaine est dévoilée aux yeux de tous, exhibant son potentiel plastique, culturel et sensoriel. C’est dans ce contexte urbain, en constante mutation, que l’association PULSART, premier intervenant extérieur portant la casquette de l’artiste, entrera en scène de manière éphémère. Construisant ses actions artistiques à partir de la réalité des lieux, elle aspire à mettre en exergue la place des participants dans le processus de création. Le « quartier sensible » se trouvant au coeur du « quartier durable », les traces des actions artistiques passées se doivent de se muer en empreintes, ténues et métaphoriques, dans le paysage de Malakoff. Bien qu’urbanistes et paysagistes missionnés par la ville laissent d’ors-et-déjà entrevoir le futur visage du quartier, à la portée de tous les regards sous forme d’affiches monumentales et articles optimistes, ses traits ne sont pas encore clairement dessinés. Peut-être le seront-ils davantage en s’interrogeant sur la forme que pourrait prendre une action culturelle durable à l’échelle du quartier, idée effleurée par le futur PAN (Pôle des Arts Nomades). A l’origine de cet ambitieux projet, le Quai des Chaps, collectif regroupant plusieurs compagnies dont Maboul Distorsion, souhaite ainsi construire un lien durable et ténu entre populations, territoires et propositions artistiques à l’échelle du quartier, leur future terre d’ancrage.

Proposer aux «habitants», dans leur grande diversité, un nouveau regard sur le paysage quotidien, différent, autre, le regard sensible d’artistes dépasse l’acte artistique et invite à nourrir le débat mené sur la ville, les territoires et leurs mutations engendrées par l’évolution de nos sociétés. Dans une volonté de plus en plus résolue de démocratiser la culture et d’associer les habitants aux mutations de leur propre quartier, dans quelles mesures l’acte artistique peut-il participer au débat d’aménagement des territoires ?