Etudiante : Loïe Jacotey
Directrice de mémoire : Claire Dauviau
Au fil des confins, un espace trinational à tisser.

Frontière :
Limite d’un territoire qui en détermine l’étendue. Par suite : limite séparant deux Etats (démarcation, confins, frontalier, limitrophe).

Limite :
Ligne qui sépare deux champs, deux domaines, deux territoires contigus. Partie extrême où se termine une étendue, une surface.
Le Grand Robert de la langue française, édition 2001.

Tout territoire émergent qui se construit, porte en lui les frontières qui le sertissent et le définissent. La frontière, c’est cette ligne, cette limite où tout bascule soudainement d’un territoire à l’autre, d’une nation à l’autre. Une fois franchie cette démarcation, l’espace n’est plus tout à fait le même, il est autre et nous confronte directement à cette altérité. C’est ce qui rend cette ligne si attirante, si emprunte de mystère. L’être humain cherche sans cesse à franchir les limites, de toutes sortes, mu par l’excitation de la transgression, de la découverte d’autre chose, la fascination de l’étranger ou de l’exotique. En termes géographiques, la frontière est « un objet séparant deux systèmes territoriaux contigus ne se résumant pas à une simple limite » (B. Reitel), mais impliquant une incidence sur l’organisation de l’espace, intégrant des dimensions à la fois politiques, symboliques et matérielles. Bien qu’elle s’imprime dans l’espace de différentes manières, la frontière est toujours une discontinuité, une rupture spatiale complexifiant les espaces qui les portent surtout au sein d’espaces urbains. Qu’elle soit barrière ou filtre, elle « met de la distance dans la proximité » (Arbaret-Schulz) tout en étant vecteur d’identités, d’échanges et d’hybridations. Quelles que soient ses formes de contacts et d’interpénétration sur le territoire, elle marque profondément et durablement l’espace de sa présence en créant des systèmes spatiaux originaux.

Le territoire trinational (suisse, allemand et français) articulé autour de la ville de Bâle et du Rhin est un exemple criant de la complexité des espaces dits « transfrontaliers ». Ce mot incarne à lui seul l’ambiguïté d’un tel territoire à priori perçu comme un ensemble qui finalement se définit par ses ruptures, ses frontières qui le morcellent. La Regio Tri-Rhena, nommée comme telle en 1995, regroupe 226 communes et plus de 830 000 habitants, une densité forte et un important taux de mobilité avec quelques 60 000 travailleurs frontaliers. La Regio a depuis toujours une ambition : faire émerger une identité commune. Les liens se sont effectivement renforcés, mais la cohérence territoriale n’est pas encore de la partie. Les différences politiques, institutionnelles et culturelles ont entravé toute entente commune sur les questions de développement du territoire. Jusqu'à aujourd'hui, chacun s'est développé dans son coin, sans réelle cohérence ou quelconque consultation à l'échelle du territoire, reléguant ainsi les espaces de périphéries urbaines (zones d'activités, zones industrielles, déchetteries et incinérateurs, jardins ouvriers, etc) sur les espaces frontaliers, à la limite officielle de chaque ensemble urbain. Celui-ci s'est tant et si bien développé, que les espaces urbanisés se sont parfois rejoints sur ces frontières. L’Europe a permis la réévaluation des notions de frontières et de leurs fonctionnements par leur désactivation sélective. La constitution d’une Euro-région du Rhin Supérieur ainsi que plus localement d’un Eurodistrict trinational (ETB) permet d’ébaucher un développement à trois, main dans la main : « Ein Zukunft à trois, un avenir zu dritt ». Les espaces transfrontaliers sont les scènes principales de ces changements qu’il faut amorcer. Sur le plan territorial, la ville de Bâle se doit de dépasser les frontières pour devenir une véritable métropole possédant à la fois centralité, force d’attraction et pouvoirs urbains. Comment construire aujourd'hui, une agglomération trinationale européenne, qui depuis toujours s'est concentrée sur des identités clairement démarquées?

La partie Nord de la métropole trinationale, là où se concentrent les trois frontières articulées autour du Rhin constitue comme l'envers d'un décor, l'arrière-cour des différentes agglomérations: des lieux à l'urbanisation décousue, aux immenses structures portuaires et industrielles, à l'espace naturel, agricole et fluvial complètement niés et oubliés, aux coupures urbaines majeures orientées sur un axe Nord-Sud: routes, fleuve et canaux, voies ferrées, douanes... aménagées par les 3 pays pour leurs frontières, qui aujourd'hui s'essayent à l'effacement. Comment démêler ce paysage complexe ? Comment dynamiser l'envers du décor, le développer tout en redonnant aux espaces naturels, leur droit de cité ? Ce territoire porte en lui les questions de limites, de frontières, de passages et de franchissements, à la fois sur les frontières étatiques mais aussi sur les espaces des « zwischenstadt », les entre-villes qui se sont formés suite à l'étalement urbain. Il interroge sur les limites politiques, les limites de la ville, les limites naturelles, les limites de déplacement, les limites culturelles... Comment investir ces frontières, lieux de ruptures et d'échanges, sans les nier ? Comment outrepasser les limites qui entravent profondément tout le territoire du Nord au Sud et lui permettre une certaine transversalité, une certaine porosité d’Est en Ouest ?

Finalement, notre travail de paysagiste soulève sans cesse des questions relevant des limites : limites du territoire, limites physiques, limites urbaines et rurales, limites forgées par les infrastructures…C’est en travaillant avec elles que les espaces de l’entre-ville vont gagner leur identité propre car ils sont le potentiel et le support d’un tissage transversal qui permettrait de lier les espaces, les hommes et les nations. Ce travail sur les espaces limitrophes se doit de prendre en compte les paysages naturels et agricoles, parents pauvres de ce territoire très urbain et redonner au Rhin sa centralité et son prestige. Le travail de couture dans l’épaisseur de la frontière ne doit pas nier son identité et sa symbolique, mais doit l’utiliser comme outil de construction de la métropole européenne de demain.