Etudiante : Lolita Voisin
Directrice de mémoire : Claire Dauviau
Entre Nature interdite et urbanisme dense de l’Est parisien, la Haute-Île, une zone inondable fille de la Marne.

Entre les doux reliefs de l’Est du Bassin Parisien, coule la Marne, tranquille et tentaculaire, le long de ses nombreux méandres. Venue du plateau de Langres en Haute-Marne, elle suit un parcours typique des cours d’eau de plaine, selon une pente faible et sous influence océanique. Longue d’environ 500 km, elle arrive tranquillement dans l’agglomération parisienne, traversant la Seine-et-Marne, très rapidement la Seine-Saint-Denis, et rejoignant sa mère, la Seine, à Alfortville dans le Val-de-Marne.

La Marne est une rivière stable, aux fonctions multiples et aux enjeux complexes. Elle est un pivot de l’usage du territoire à l’Est de Paris. Transport fluvial, captage d’eau potable, rejet des eaux usées, la Ville est aujourd’hui intimement liée dans son fonctionnement à cette large rivière au cours tranquille.
Elle a aussi donné un caractère très fort à ce territoire à son approche de Paris. Rivière agricole tout d’abord, haut lieu de pêche et de transport fluvial, lorsque les bords de la Marne n’étaient que champs et bois, un grenier pour la ville de Paris (son nom latin : Matrona, mère nourricière, suggère qu’elle était depuis une époque lointaine une source de richesses pour les pays qu’elle arrose). Rivière de la fête et de la musique ensuite, à la Belle Epoque (fin 19e), pendant laquelle les guinguettes et les joutes nautiques battaient leur plein, baignades et culture attiraient les Parisiens et les peintres hors de la capitale, vers ce très beau morceau de «campagne». Aujourd’hui, l’urbanisation a occupé tous les espaces, elle tourne volontiers le dos à la rivière. Parmi les habitants, qui se dira vivre au bord d’une rivière, grise et sale, dans laquelle la baignade a été interdite en 1970 pour cause de pollution ? Il s’agit bien plus aujourd’hui d’un réseau, un flux, qui concentre les péniches et les feuilles mortes en automne, qui recueille les rejets de la ville et les évacue plus en aval.

Au cours de son voyage, la Marne dessine des creux et des bosses, des boucles et des îles. Utile au dynamisme de la rivière, elles régulent les inondations, fréquentes et nombreuses. De type fluvial, elles sont lentes et correspondent aux régimes de précipitation, notamment en hiver. Lors de sa brève incursion en département de Seine-Saint-Denis, la Marne décrit une large boucle, contournant un morceau de terre, sauvage, interdite. Transformé en île par le percement du canal de Chelles, long de 8 km, ce morceau de terre de 75 ha est devenu une zone préservée, où la rivière se permet un fonctionnement sauvage proche de son fonctionnement originel. C’est le monde du silence et de la nature interdite, pendant que la bataille fait rage tout autour, rage de l’urbanisation complexe et superposée de cette zone dynamique de la région parisienne. Une irréelle clarté éclaire le canal, le long du chemin tracé entre les palplanches rouillées et les peupliers jaunes, pendant que les lentes péniches pénètrent l’air chargé de silence.

Jusque là inconstructible et impraticable, la Haute-île en était presque oubliée, découverte seulement des bateliers et des égarés, des fous se jetant dans le canal pour y couler et des naturalistes venus pour y découvrir les espèces végétales rares se glissant malgré tout en île de France grâce à ces lieux oubliés des hommes. Cependant, depuis quelques années, le département a retrouvé le chemin de l’île et les prouesses de la débroussailleuse. Destiné à devenir un parc, ce territoire pose de nombreuses questions quant à ses caractéristiques fondamentales: comment être parc naturel lorsque l’île n’a été que sauvage, comment y conserver les fonctions d’une île alluviale dans le fonctionnement d’une rivière ?

Territoire vierge et véritable enclave dans le tissu urbain dense et complexe, la confrontation entre nature et homme est à définir. La pression foncière sur l’ensemble du territoire, le fonctionnement hydraulique de la rivière, la volonté de «sauver» la nature et la tendance à «mettre sous cloche» les résidus de milieu naturel devront se confronter afin d’imaginer des solutions pour intégrer l’ensemble des fonctions et des usages d’un tel lieu. La définition des acteurs d’un tel site, avec la rivière comme premier rôle, sera déterminante pour la qualité d’un aménagement potentiel. La réflexion à une échelle plus large de l’ensemble du territoire et de ses caractéristiques humaines sera peut-être une entrée pour lire ce drôle de morceau de terre, peuplée d’eau et de plantes, de silence et d’espoir, pour une nouvelle vie, dans un élan de ne pas protéger aveuglement les nostalgies ni de détruire le potentiel existant, mais bien plutôt de faire interagir les éléments d’un territoire jusque là interdit.