| Etudiante : Armande Jammes | 
| Directrice de mémoire : Claire Dauviau | 
| UNE
            ANTICHAMBRE AVANT L’ESPAGNE | 
| Il y a bien la montagne et de part et d’autre 
      deux pays. Et je voudrais que mon entrée, que ma sortie, soit quelque 
      chose, un événement. Je décompte les kilomètres 
      comme je décompterais à rebours les secondes, en espérant 
      qu’avec le zéro, me saisisse l’évidence de cet 
      instant, de ce passage. Je sais que je quitte ce pays pour passer dans un 
      autre, je le sais mais ne le vois pas. Je veux le voir, et je scrute derrière 
      la vitre les signes de ce changement. Signes absents alors. Jusqu’au 
      dernier moment, j’espère, mais à peine un panneau : 
      j’y suis, je crois. ça ne peut pas être seulement cela. 
      Un ancien poste de douane me rappelle les légères impatiences 
      connues à mes dix ans, aux passages des frontières, léger 
      inconfort de devoir passer devant eux, montrer patte blanche… Quelque 
      chose au moins qui me faisait sentir le poids de mon voyage. Me sentir passer 
      de l’autre côté, petite aventure mais aventure tout de 
      même. Et je savais alors que le monde derrière cette frontière 
      en était un autre. Une autre langue, une autre façon de manger, 
      de vivre, de paresser. Les douaniers étaient les princes de cette limite. Il y a bien la montagne, mais chaque pays a su marquer ses flancs. Elle n’est plus cette terre sauvage et terrible qui me cachait des autres et me les rendait si lointains. Plus rien désormais ne nous éloigne de rien, ce que le monde avait mis de mer et de terre entre nous, les peuples, n’est plus qu’une dérisoire question d’heures. Ce soir, je suis là-bas, de l’autre côté du monde. Je sens qu’à la frontière le temps prend du retard sur l’espace. Mon corps franchit la limite, mon esprit reste à la traîne, freiné, alourdi par la conscience du pays que je laisse. Il réclame de la lenteur, se refuse un peu à ce nouveau paysage, à ce nouveau pays. Puis quoi. Je voudrais sentir l’épaisseur de cette frontière, et, le temps de cette épaisseur, prendre le temps de me défaire de l’un, me préparer pour l’autre. Comme on enlève son manteau dans une antichambre, comme on y oublie les bruits de la rue et la lumière du jour avant d’entrer dans la maison. Un espace qui me donne du temps. Le temps d’un changement. De la France à l’Espagne, de l’Espagne à la France, si fine est cette limite que je peux marcher sur son fil, les bras tendus, un bras dans chaque pays. Et mon esprit coupé en deux. Mais je ne peux pas ou ne veux pas. J’ai besoin d’un espace de vide, sans appartenance, un espace qui me donne du temps, une antichambre. Une antichambre avant l’Espagne. |