Etudiante : Anne-Sophie Verriest
Directeur de mémoire : Jalil Amor
ENTRE EAUX SALEES ET EAUX SAUMATRES, L'ENJEU D'UN CHENAL
Le chenal de Caronte est un petit bout de terre et de mer, long de 5,5 Km, appartenant au département des Bouches-du-Rhône. Il est le corridor entre les eaux salées de la mer Méditerranée et les eaux saumâtres de l’Etang de Berre. C’est aussi la terre voisine du terminal pétrolier et pétrochimique de Fos sur mer et de Lavera. Les deux grandes villes vigies que sont Port-de-Bouc, à l’Ouest, et Martigues, à l’Est, surveillent ses embouchures.
Depuis la fin du Ve siècle jusqu’à l’ère actuelle de l’industrie pétrochimique, le chenal de Caronte voit défiler tous types de navires, se trouvant donc au cœur d’enjeux stratégiques et fonciers importants.
Mais à force de subir des aménagements successifs, certaines de ses traces géographiques, paysagères et stratégiques anciennes se sont effacées. Il nous donne aujourd’hui principalement à voir son époque industrielle.
En guise de défense et de protection contre la soi-disant « maudite » vue qui nous est offerte le long du chenal, les endroits clés de Port-de-Bouc et Martigues ont été embellis et capitonnés. Les activités sont centralisées et les centres-villes deviennent les terrains de toutes les attentions. Le chenal n’est pas le fruit de la puissante attraction qui pourrait exister entre les deux villes, comme un pôle magnétique qui les lierait l’une à l’autre. Toutes deux nous donnent en fait à voir une série de paysages différents suivant leur nature économique et touristique.
à Port-de-Bouc, une jetée est entièrement vouée à la Grande Bleue. Un quartier, une vision particulière des industries et un patrimoine historique qu’est le Fort de Bouc peuvent ainsi s’épanouir et confronter les différents temps historiques qui composent encore le site. De cette jetée, les habitants admirent le spectacle des tankers, lents et majestueux, guidés par les bateaux de la capitainerie. D’ici, on peut presque toucher le Fort situé à une centaine de mètres. Mais ici, on n’ose pas regarder vers l’Etang.
à l’autre bout du canal de Caronte, Martigues, la Venise méditerranéenne, est entièrement vouée à l’Etang de Berre, une petite mer avec vue sur les rivages collinéens du massif de la Nerthe. Martigues, ville qui ose franchir le canal par trois fois. Ici, les tankers ont accès à l’Etang de Berre grâce à deux ponts amovibles. Mais ici, on n’ose pas regarder vers la mer.
De Port-de-Bouc à Martigues, deux paysages complémentaires préfèrent aujourd’hui se tourner le dos. Alors, que reste-t-il de part et d’autre de ces villes ?
La rive Nord du chenal de Caronte est apparemment abandonnée et révélée aujourd’hui par le contraste flagrant des aménagements et par sa confrontation directe (sur l’autre rive) avec une économie dangereuse mais nécessaire (le pétrole et ses dérivés). Un espace qui, au premier regard, semble être désoeuvré, oublié et démis de ses fonctions. Perceptions trompeuses puisque ici une activité industrielle existe encore. Alors, pourquoi nous faire croire que cet espace est vide et abandonné ? Pourquoi ne pas affirmer qu’ici il se passe aussi quelque chose ?
Affirmer sa vocation, c’est pour le chenal de Caronte retrouver sa force sémantique et géographique. Il pourrait ainsi établir une véritable relation entre les villes de Martigues et Port-de-Bouc et révéler sa position charnière dans la région.
Accepter ces paysages, c’est dans un premier temps, redonner un imaginaire aux éléments industriels, maritimes et économiques qui composent le chenal. Accepter, c’est aussi prévoir et introduire l’expression d’une volonté nouvelle qui annoncerait qu’une autre image de la région est à venir.